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Édith Piaf - Le bel indifférent (1940)
Envoyé par : chaparral83
Date : samedi 4 avril 2009, 00:54:24

Si, si, c'est une chanson ! C'est seulement qu'il y a une trèèèèèès longue introduction ! 27 minutes d'introduction, pour une minute de chanson !

Bon, d'accord, la chanson est déjà dans la base… mais pas l'intro !

Il n'y a pas d'enregistrement de la pièce de 1940. Juste le texte de Cocteau, qu'il a modifié en 1953 : il a systématiquement supprimé tout ce qui se rapportait à la vie professionnelle de Piaf. Ainsi disparaissent des indications comme : […] tu as oublié […} que je chantais, que j’avais du succès, que je gagnais ma vie et que j’ai une foule de personnes prêtes à me défendre. Tous les inconnus de la radio et du disque" Ce qui était utile en 40 pour identifier l’interprète au personnage était désormais superflu, et sans doute un peu gênant, dès lors qu’Édith Piaf était devenue une très grande vedette.

Je me suis donc basée sur l'enregistrement de 1953.
Je ne suis pas encore sûre de la proposer sur "à publier", mais si je le fais, j'enlèverai les indications des jeux de scène, en bleu.

Z-en pensez quoi ? À publier, ou pas à publier ? Ça ne me gêne absolument pas de le laisser sur "chansons"… j'en ai aissé d'autres
Je trouve simplement que c'est une facette du talent de comédienne de Piaf, qu'on connaît dans l'interprétation "vécue" de ses chansons, et qu'on peut écouter là.


Titre: Le bel indifférent
Artis: Édith Piaf
Parol: Jean Cocteau, Jacques Pills
Musiq: Gilbert Bécaud
Langu: Fr
Album: *
Annee: 1940
copyR:
Notes: entièrement parlé, sauf la chanson de la dernière minute. Créée le 20 avril 1940 avec Paul Meurisse. Enregistrée le 20 avril 1953 avec Jacques Pills
#DEB#

Pour toi, rien que toi
Partout toi, toi, toi, toi, toi

Une pauvre chambre d’hôtel, éclairée par les réclames de la rue. Divan-lit. Gramophone. Téléphone. Petit cabinet de toilette. Affiches.
Au lever du rideau, l’actrice est seule, en petite robe noire. Elle guette à la fenêtre et court à la porte surveiller l’ascenseur, puis elle vient s'asseoir près du téléphone, puis elle met un disque et l’arrête. Elle retourne au téléphone et forme un numéro.


Allo, c’est vous Georgette ? Passez-moi Monsieur Totor. Si, trouvez-le. J’attendrai
Le voilà ? Parfait ! Passez-le-moi
Totor ? C’est toi ? C’est moi, oui
Émile et en haut ? Non ?
Tu l’as vu ? À quelle heure ? Et… et il était seul ? Et tu ne te doutes pas où il allait ? Il ne t’a rien dit ? Il était noir ?
Oh, je ne suis pas inquiète, j’avais une chose urgente à lui dire, et j'arrive pas mettre la main dessus
Ça marche ? Bravo ! Moi ? Oh, moi, après mon travail, je rentre, je suis morte.
Mieux, plutôt mieux. Le docteur ? Si tu crois que j’ai du fric pour voir les docteurs.
Non mais je me soigne, je rentre, je me couche
Émile ? Émile et un ange. Il est parfait pour moi. Mais si, il va rentrer. Il ne me quitte jamais. Il devait avoir une affaire
Enfin ça va. Je t’embrasse, hein. Allez, au revoir
Au revoir Totor. Bonne chance

Elle raccroche. Elle entend le bruit de l’ascenseur et va écouter à la porte. Le téléphone sonne, elle se précipite.

Allo ! Ah ! C’est vous ! Votre frère ?
Naturellement qu’il est là votre frère. Il est là, mais il est dans la salle de bains.
Je vais l’appeler.
Émile ! Émile ! Quoi ? Tu ne peux pas venir ? Charmant !
Allo. Ce qu’il et grossier !
Non. Il me crie qu’il est tout nu et que ce ne serait pas convenable au téléphone
Si je suis sûre qu’il est là ?
Vous êtes folle, Simone. Naturellement qu’il est là !
Ah, ce n’est pas ma faute s’il refuse de, de se déranger, de, de venir
Ta sœur trouve que tu pourrais te déranger !
Ah, il a un vocabulaire choisi !
Non, il est dans l’eau et il prétend rester dans l’eau
Je vous redemanderai. C'est ça !

Elle raccroche. — Entre les dents

La garce !

Elle reprend sa faction. Bruit d’ascenseur. Elle se précipite. On entend une autre porte. Silence. Elle s’appuie, debout, contre la porte, épuisée. Elle va à la pendule et avance les aiguilles. A mi-voix.

C’est pourtant facile de téléphoner, de décrocher un appareil !

Elle regarde le téléphone et tout à coup se décide à mettre une cape. Bruit de clefs. Elle ôte la cape. Elle se précipite sur le divan et prend un livre. La porte s'ouvre Émile entre. C'est un magnifique gigolo, au bord de ne plus l’être. Il entre, et, pendant ce qui va suivre, se déshabillera, allant du cabinet de toilette à la chambre en sifflotant.

Ta sœur a téléphoné
J’ai dit que tu étais dans ton bain
Pas la peine qu’elle sache que tu n’étais pas rentré à l’hôtel, que tu traînais n’importe où. Elle aurait été trop contente ! Du reste, elle ne téléphonait que pour se rendre compte. Elle répétait "Vous êtes bien sûre qu’il est là ?"
Quelle garce !
Où étais-tu ?
J’ai demandé chez Totor, on t’avait vu, mais on ne savait pas où tu étais
L’heure passe si vite ! Je lisais, je croyais que je venais de rentrer de mon travail et puis je regarde la pendule et je m’aperçois qu’il est une heure impossible
Où étais-tu ?

(Silence)

Parfait ! Tu ne veux pas répondre, comme d’habitude ! Ne réponds pas, mon bonhomme ! Ce n’est pas moi qui t’interrogerai, qui insisterai. Je ne suis pas de ces femmes qui font des interrogatoires et qui marchent sur vos talons jusqu’à ce qu’elles sachent ce qu’elles veulent
Avec moi tu n’as rien à craindre !
Je te demande où tu étais…
Tu refuses de répondre ?
La cause est entendue. Seulement, à l’avenir, moi, j’en prendrai à mon aise. Pendant que Monsieur se promène, j’irai où bon me semble, et je ne te rendrai pas de comptes. Ce serait trop facile, merci !
Monsieur fait ce qu’il veut, et Madame doit rester enfermée à triple tour à l’hôtel !
J’ai compris. Je ne comprenais pas, mais j’ai compris. Bonsoir messieurs-dames. Je rentrais comme une petite fille bien sage attendre Monsieur… Et Monsieur ne rentre pas ! Monsieur est tranquille, Monsieur sait que Madame est à l’hôtel, qu’elle dort. Alors Monsieur cavale ! Mais tout ça va changer. Dès demain, j’accepte les offres des types qui m’envoient des fleurs, des lettres, Champagne etcetera. Et Monsieur verra comme c’est drôle d’attendre. D'attendre toujours

Émile a passé sa robe de chambre, il se couche sur le lit, allume une cigarette et déploie un journal qui lui cache la figure.

Lis ton journal ! Lis ton journal, ou plutôt fais semblant de le lire. Rien ne m’empêchera de crier…

(on frappe à la cloison; elle continue plus bas)

…de crier ce que j’ai sur le cœur
C’est très commode un journal. Derrière un journal, on se cache. Mais moi, derrière ce journal, je devine ta figure méchante et attentive, oui, mon cher, at-ten-tive !
Je parlerai, je viderai mon sac ! Rien ne m’empêchera de vider mon sac !

(on frappe à la cloison)

Merde !

Lis ton journal, c’est si simple !
Sais-tu ce que c'est, toi, que d’être malade, de s’en aller de la caisse ? Sais-tu ce que c’est que de rentrer vite chez soi, que d’espérer l’appui de la personne qu’on aime, et que de trouver la chambre vide et que d’attendre ?

Attendre ! Je la connais cette chambre. Si je la connais !
Je connais les réclames rouges et vertes qui s’allument et qui s’éteignent et qui ont l’air de tics d’un vieux maniaque
Je connais les taxis qui font semblant de s’arrêter, qui ralentissent et qui passent. Et chaque fois, le cœur s’arrête de battre
Je connais l’ascenseur qui monte à l’étage au-dessus ou qui s’arrête à l’étage au-dessous et le bruit des autres portes
Je connais les aiguilles de la pendule qui filent à toute vitesse si on ne les regarde pas, et qui, si on les regarde, se glissent comme des voleurs, si lentement qu’on ne les voit pas remuer et qu’on croit que la pendule se trompe
Attendre. Faire attendre, chez toi, c’est de l’art ! Un supplice chinois. Tu connais tous les trucs, tous les moyens les plus épouvantables de faire du mal et de nuire

Ce que j’ai attendu!
Je compte jusqu’à mille, jusqu’à dix mille, jusqu’à cent mille. Je compte mes pas entre la fenêtre et la porte. Je combine des calculs pour que mes pas comptent le double. Je mets un disque. Je commence un livre et j’écoute. J’écoute avec toute ma peau comme les bêtes ! Et quelques fois je n’y tiens plus et je téléphone
Je téléphone dans une de ces sales boîtes où tu traînes, où tu dois torturer d’autres femmes. Et tu viens toujours de partir ! Et jamais on ne sait où tu es parti. Et la dame du lavabo qui prend une voix de mère-poule, une voix compatissante. Ah ! Celle-là, je la tuerais !

Du reste, il est possible que je te tue. On cite des femmes qui ont tué leur amant pour moins que ça. Attendre, attendre, attendre, attendre ! C'est à devenir folle, et ce sont les folles qui tuent !
Après je me tuerai. Je ne supporterai pas de vivre sans toi. J’en suis certaine. Mais que veux-tu, c’est un réflexe !

Regarde, je parle, je parle, d’autres que toi jetteraient leur journal, me répondraient, s’expliqueraient ou me gifleraient. Toi, non ! Tu lis ton journal ou tu fais semblant de le lire
Je donnerais cher pour voir ta figure derrière ce journal
Ta figure de diable. Une figure que j’adore et qui me donne envie de prendre un revolver et de te tirer dessus !

Écoute, Émile, cette nuit, j’ai décidé de tout te dire
Je crois qu'il vaut mieux qu'on se quitte

Si ! Tu es habitué à ce que je souffre en silence, à ce que je la boucle, mais la mesure est comble !
À deux heures je m’étais promis, si tu rentrais, de me taire, d’être gentille, de me coucher, de faire comme si je dormais, comme si tu me réveillais
À deux heures dix, la torture des voitures et de l’ascenseur a commencé
À deux heures un quart, ta sœur a eu l’idée géniale, lumineuse, de faire sa police et de voir si tu étais rentré à l’hôtel, et à deux heures et demie, j’ai perdu le contrôle de moi-même, et j’ai décidé, oui, décidé que je parlerais et que j’en finirais avec ce silence !

Oh ! Tu peux te taire, tu peux lire ton journal, tu peux te réfugier derrière ton journal. Je m’en fous ! Je ne serai pas ta dupe. Je te vois, je te vois malgré le journal. Ha, ha !
Ma scène t’embête, hein ? Tu ne t’y attendais pas. Tu te disais "C’est une victime, profitons-en" ! Eh bien non, non, non, non et non, je refuse d’être une victime et de me laisser cuire à petit feu. Je vivrai, je lutterai, et j’obtiendrai gain de cause

Je t’aime. C’est entendu. Je t’aime et c’est ta force. Toi, tu prétends que tu m’aimes. Mais tu ne m’aimes pas, Émile. Si tu m’aimais, tu ne me ferais pas attendre, tu ne me tourmenterais pas à chaque minute, à traîner de boîte en boîte et à me faire attendre. Je me ronge. Je ne suis plus que l’ombre de moi-même. Tiens : un fantôme ! Un vrai fantôme. Un fantôme couvert de chaînes, de toutes les chaînes que tu m’accroches. Un fantôme dans une oubliette

Je sais ce que tu voudrais. Je le sais. Tu voudrais pouvoir aller et venir, faire tout ce qui te passe par la tête, coucher avec la terre entière et savoir que moi, moi que tu aimes, ha, ha, ha, paraît-il, je suis enfermée à triple tour dans un coffre-fort dont tu tiens la clef dans ta poche. Et alors, tu serais tranquille ! C’est ignoble. Ignoble !

Émile !

Oh! Bon. Continue, lis ton journal, lis ton journal
Il y a beau temps que tu dois avoir fini de le lire ! Je te conseille de le relire, de le lire de haut en bas et de bas en haut, de gauche à droite et de droite à gauche
Tu es grotesque. Voilà ce que tu es. Tu es grotesque
Monsieur est calme. Monsieur veut me prouver qu’il est calme
Et moi, je ne suis pas calme, dis ? Je suis le calme ! Un modèle de calme ! Je ne connais pas beaucoup de femmes qui conserveraient leur calme au point où je garde le mien !
Il y a longtemps qu’une autre t’aurait arraché ce journal ou t’aurait obligé à répondre quelque chose ! Moi pas !
J’ai décidé que je conserverais mon calme et je le conserverai
C’est toi qui manques de calme ! Je ne suis pas folle
Je vois ta jambe qui tremble, tes mains qui blanchissent
Tu crèves de rage ! Tu crèves de rage parce que tu te sais en faute

Où étais-tu ?
J’ai téléphoné chez Totor, tu venais de partir, avec une poule sans doute
Sans doute avec cette poule immonde chez laquelle tu couches quand tu me dis que tes collègues te demandent de monter à Marseille
Tais-toi ! Je la connais et je te connais
Une femme qui a le double de ton âge, qui s’habille au marché aux puces. Les gens se retournent dans la rue !
Et voilà la poule que Monsieur trouve ! Et voilà la poule avec laquelle il me trompe !
Encore, j’apprendrais que tu me trompes avec une petite fille fraîche, neuve, que tu lances, que tu as dans la peau… Je ne dis pas que ça m’enchanterait, non ! Mais je te trouverais des excuses. Mais là, une vieille femme, même pas riche, et qui te rapporte quoi ?
Hum ? Quoi ? Je te le demande ! Enfin, les hommes sont fous ! Fous et vicieux et funestes. Funestes. Car tu es funeste. Eh bien, voilà le mot, je le cherchais. Tu es funeste !

Et ma santé ? Tu y penses à ma santé ? Tu t’en fous, hein ? Si je crevais, je te débarrasserais
Tu crois que ça l’arrange, ma santé, d’attendre, d’attendre, d’attendre toujours. D’aller de cette fenêtre à cette porte ou de cette porte à cette fenêtre ?
Il n’y avait pas de téléphone dans cet hôtel infect. Je l’ai fait poser. Pourquoi ? Pour que Monsieur puisse me rassurer, me dire "J’ai une affaire, je suis à tel et tel endroit, ne t’inquiète pas, mon amour, je rentre tout de suite."
Dépense inutile : c’est ta sœur qui téléphone !

Le téléphone est devenu un instrument de supplice en plus. Il y avait l’ascenseur. Il y avait la sonnette d’en bas. Il y avait les clefs dans les portes. Il y avait la pendule. Maintenant il y a le téléphone. Ce téléphone que je regarde, que je dévore des yeux, et, et le silence. Jamais Monsieur n’aurait l’idée, où il se trouve, Dieu sait où – chut ! Je préfère l’ignorer - jamais il n’aurait l’idée de se dire "Elle crève toute seule à l’hôtel, c'est pas difficile, je vais donner un coup de téléphone."
Ha, ha, ha ! Ça s'rait trop de peine, faudrait allonger le bras. Prouver à la poule avec laquelle tu es que tu en as une autre à la maison. Sortir de ton mystère, de ton "mutisme"

Émile ! Tu t’obstines ? Tu t’accroches à ce journal ? Un, deux, trois ! Très bien !
Je continuerai ! Je continuerai car je sais que tu écoutes et que je t’embête
Le sort en est jeté ! Je te sortirai tout le paquet. Je te dirai tout ce que j’entasse depuis des mois. Je te dirai tout ce que j’ai sur le cœur !
Une patate ! Ça s’appelle une patate ! J’ai une patate sur le cœur. Une patate énorme, énorme ! Et il faut qu’elle sorte. Il faut qu’elle sorte ou, ou j’en étoufferai

Et tes mensonges ? Quel menteur tu es ! Tu mens comme tu respires !
Tu mens, tu mens, tu mens, tu mens ! Tu mens à propos de bottes et continuellement
Si tu me dis que tu vas t’acheter une boîte d'allumettes, c’est faux. Tu vas prendre un bock et vice versa. Tu mens pour le plaisir, par habitude
Tiens, l’autre jour, tu m’as raconté que tu allais chez ton dentiste. Moi, je me doute de ton mensonge, je me poste devant l’hôtel de ta vieille poule et je t’ai vu sortir
Ne dis pas non, ne jure pas sur ta mère ! Je t’ai vu !
Tu n’avais pas besoin de me parler du dentiste. Il est vrai que d’aller chez le dentiste ou chez cette vieille poule, ça ne doit pas être beaucoup plus agréable
Enfin, ça te regarde. Fais ce que tu veux. Non, ce qui me révolte, c’est le mensonge
Tu mens tellement que tu t’embrouilles dans tes mensonges, que tu te prends les pieds dans tes mensonges. Tu oublies ce que tu racontes et on est gêné pour toi
Je te l’affirme, moi, il m’arrive de rougir quand je t’écoute raconter des histoires qui n’ont ni queue ni tête. Et tu as un aplomb, un aplomb !
Remarque, je suis certaine que dois mentir aussi à l’autre. À l'autre ? Aux autres ! Et que ton existence doit avoir la complication d’un cauchemar

Dans le temps, au début, j’étais jalouse de ton sommeil
Je me demandais "Où va-t-il quand il dort ? Qui voit-il ?" Tu souriais, tu te détendais, et je me mettais à haïr les personnages de tes rêves
Je te réveillais souvent pour que tu les plaques. Et toi tu aimais rêver. Notre vie n’était pas drôle. Tu aimais rêver et tu étais furieux que je te réveille
Mais ta figure béate, je ne la supportais pas
Maintenant, si tu dors, je me dis "Me voilà tranquille, il est là. Je peux le dorloter, le toucher, le regarder."
Moi je dors mal. Je ne dors presque jamais. Alors je me dis "Il est là, il ne court pas à droite et à gauche. Je l’ai, je le garde."

Émile… Émile ! Je te jure que tu me pousseras à commettre un crime ou tu me pousseras à tout casser, c’est toi qui commettrais un crime, qui tirerais, qui te ferais mettre en tôle. Ah ! Tu te vois en tôle, dis ?

Écoute-moi bien. J’ai pu te parler avec patience. Seulement je te préviens que ma patience est à bout. Si, dans trois minutes… Non, tiens, je vais compter jusqu’à trois. Si quand j’aurai compté jusqu’à trois, tu ne lâches pas ce journal, je te préviens, Émile, que je ferai un malheur

Un, deux, trois, quatre, cinq, six, sept, huit, neuf, dix, onze, douze, treize, quatorze, quinze, seize, dix-sept, dix-huit, dix-neuf, vingt, vingt et un, vingt-deux…

(sonnerie de téléphone)

Vingt-trois…
Tu as de la chance ! Allo ! Allo ! De la part de qui ? Mais non, ce n’est pas la bonne ! Monsieur Émile ? Monsieur Émile lit son journal. Ah… C’est vous ! Ouais ! Parfaitement, attendez !

(La main sur le combiné, à Émile.)

Daigneras-tu répondre ? C’est ta vieille poule

(Silence.)

Elle te demande

(Silence.)

Non, Madame. Oui, je lui ai dit que c’était vous. Il refuse de se déranger. Je vous répète qu’il lit son journal ! Pfffff…
Émile, veux-tu venir oui ou non ?
Non. C’est non… Ah, mais, Madame, je n’y peux rien… Ah vraiment ? Vraiment ? Vous êtes charmante ! Il refuse de vous parler, que voulez-vous que, j’y fasse ? Oh !

(Elle raccroche.)

Salope !

(Elle s’approche d’Emile.)

Merci, Émile. Tu as été très chic
Je n’aurais jamais cru que tu serais aussi chic
C'est vrai, je serais morte de honte si tu avais parlé à cette femme. Émile… J' suis… J' suis embêtante, hein ? Avoue ? Émile, pardonne-moi, va… Embrasse-moi…

(Elle écarte le journal, Émile dort, sa cigarette tombée.)

Ho, y dort ! Émile ! Émile, réveille-toi ! Émile ! Émile !
Ta vieille poule a téléphoné ! Ta vieille poule a téléphoné ! Ta vieille poule a téléphoné ! J’ai cru que tu refusais de lui répondre et de lui parler… Oh… Émile ?

Émile la repousse d’un geste brusque. Il s'étire, se lève, allume sa cigarette et se dirige vers le cabinet de toilette. Elle le suit, il se rhabille.

Émile, Émile ! Tu te rhabilles ? Ah, prends garde. Je vais me jeter par la fenêtre ! Je vais m' tuer !

Elle ouvre la fenêtre et jette son mégot. Émile entre dans le cabinet de toilette sans qu'elle le voie. Elle quitte la fenêtre et, devant la chambre vide, devient folle.

Où es-tu, Émile ? Émile ?

(Il sort du cabinet de toilette.)

Ho ! Tu m'as fait peur ! J' te voyais plus, j' te croyais sorti

(Il se peigne.)

Qu’est-ce que tu fais ? Qu’est-ce que tu as ? Tu te rhabilles ?

(Il met son veston)

Tu… Tu sors ? C’est impossible ! Qu’est-ce que j’ai dit ? Émile, réponds-moi… Réponds quelque chose ! Tu es trop dur, trop féroce. J’attends… J’attends… J’attends à en crever. Enfin tu arrives. J’ai à te parler, je te parle, tu te plonges dans la lecture d’un journal, et tu t’es endormi ! Alors, quoi, tu n’as même pas entendu ce que j’avais à te dire ! Ah, c’est trop fort ! M’en, m'en vouloir et me punir, de quoi ?

(Elle s’accroche. Il la repousse et ferme son veston.)

Écoute, Émile, je reconnais que j’ai été violente, que tu détestes entendre la vérité… Non, non, au moins certaines choses qui t’ennuient. Émile, dis quelque chose… Parle, ouvre la bouche ! Ne reste pas comme une borne, comme une statue !

(Il met son manteau.)

Hein ? Quoi ? Tu mets ton manteau ? Ah, non, tu ne sortiras plus ! J’ai trop souffert, je ne te laisserai plus sortir
Émile, aie pitié de moi, aie du cœur
Tu as du cœur, et tu m'aimes… Si tu m’aimais pas, tu ne rentrerais pas, et tu rentres ! Tu rentres en retard, mais tu rentres
C’est que tu tiens à moi. C’est que c’est pas fini. Émile, jure-moi que c’est pas fini

(Émile va au téléphone et compose un numéro. Elle s'accroche à son bras.)

Émile, tu n’as pas le droit ! Pense à tout ce que j’ai fait pour toi !
Non ! C’est pas ce que je voulais dire ! Je sais bien que j’ai rien fait pour toi, que j’avais rien à faire et que si j’avais fait la moindre chose, c’était trop naturel.
Tu m'en veux parce que je parle ?

Pardon, Émile, je serai sage. Je ne me plaindrai pas. Je me tairai, là. Là, je me tairai.
Je te coucherai, je te borderai, tu dormiras et je te regarderai dormir, et tu auras des rêves et dans les rêves tu iras où tu veux, tu me tromperas avec qui tu veux… Mais reste ! Reste ! Reste… Je mourrais s’il fallait t’attendre demain ou après-demain

(Émile ouvre la porte. Elle s’accroche à lui)

Émile, je t'en conjure, c'est trop atroce ! Émile ! Reste ! Ah, Émile, regarde-moi ! J’accepte ! Tu peux mentir, mentir, mentir et me faire attendre. J’attendrai, Émile ! J’attendrai autant que tu voudras…

Émile la repousse et sort en claquant la porte — Elle court à la fenêtre pendant que le rideau tombe

Oh ! Émile ! Émile ! Émile ! Émile ! Émile ! Émile ! Oh… Oh… Oh… Émile… Oh…

Obstinément, tu es là
J'ai beau chercher à m'en défaire
Tu es toujours près de moi
Je t'ai dans la peau
Y a rien à faire
Tu es partout sur mon corps
J'ai froid, j'ai chaud
Je sens tes lèvres sur ma peau
Y a rien à faire
J' t'ai dans la peau

#FIN#

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Modifié 2 fois. Dernière modification le 02/12/12 13:03

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Re: Édith Piaf - Le bel indifférent (1940)
Envoyé par : mercedes
Date : samedi 4 avril 2009, 01:04:33

chaparral83 a écrit:
-------------------------------------------------------
>
> Bon, d'accord, la chanson est déjà dans la base…
> mais pas l'intro !
>
> Je ne suis pas encore sûre de la proposer sur "à
> publier"
>
> Z-en pensez quoi ? À publier, ou pas à publier ?



Ben, on dirait que tu as tout dit, là

Déjà dans la base (mais pas l'intro, mais l'intro c'est pas le début de la chanson c'est une pièce de théâtre)

Définitivement pas à publier
Juste pour le plaisir d'écouter

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Re: Édith Piaf - Le bel indifférent (1940)
Envoyé par : chaparral83
Date : samedi 4 avril 2009, 01:26:29

Je me doutais bien que tu diais ça

C'est pas grave ! Mon prochain, tu pourras pas dire non !

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Re: Édith Piaf - Le bel indifférent (1940)
Envoyé par : mercedes
Date : samedi 4 avril 2009, 01:33:48

ptite remarque en (re)passant :
Bécaud est né en 1927, alors la partie chantée ne peut être que de 1953, pas de 1940

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Re: Édith Piaf - Le bel indifférent (1940)
Envoyé par : chaparral83
Date : samedi 4 avril 2009, 01:55:32

Oui, la chanson est extraite d'un film de 52.
Elle ne pouvait donc pas figurer dans la première version de la pièce.

Mais comme on n'a pas d'enregistrement de 1940, je ne peux pas dire s'il y avait une autre chanson.
Cocteau a écrit des chansons pour Marianne Oswald, Suzy Solidor (dont deux qu'elle a enregistrés en 1932 "Attendre" et "Mensonges", reprennent déjà les mêmes thèmes que la pièce), Jean Marais et d'autres interprètes.

Il existe aussi une version en vers libres du "Bel indifférent", intitulée "Chanson parlée en trois actes"…

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Re: Édith Piaf - Le bel indifférent (1940)
Envoyé par : fazou
Date : samedi 4 avril 2009, 03:43:27

Tu as transcrit tout ça !
Total respect !

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Re: Édith Piaf - Le bel indifférent (1940)
Envoyé par : jylve
Date : samedi 4 avril 2009, 10:18:45

Dans un forum où la priorié est donnée aux textes, cette transcription est une petite performance qui me force au respect tout comme Fazou. C'est sur que cela ne peut paraitre "à publier", mais quand on s'aperçoit ce que cela réclame de mettre par écrit une chanson, que dire de toute cette introduction? Les bras m'en tombent et je les récupère pour applaudir.Bravo Cat

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Re: Édith Piaf - Le bel indifférent (1940)
Envoyé par : phikipsy
Date : samedi 4 avril 2009, 11:19:06

Remarquable ! Et l'interprétation et la transcription !
Je la compléterai de quelques ajouts, si mes oreilles ne m'ont pas trompé tant j'étais à chaque fois navré de devoir interrompre le fil du récit pour apporter une correction ou réécouter.

Il me crie qu'il et tout nu ---> est
Non, il est dans l'eau et ---> et il ( me semble-t-il)
Ce n'est pas ma faute ---> Ah, ce n'est ( détail, j'en conviens)
On ne savait pas ou tu étais ---> où
Je te demande ou tu étais ---> où
Il y a déjà longtemps qu'une autre t'aurait ----> Il y a longtemps
Le téléphone et devenu un instrument de supplice ---> est
Je vais compter jusqu'à trente. Si…. trente ---> trois… trois ( ce qui rend d'autant plus tragique le fait qu'elle compte jusqu'à…)
Si tu avais parlé cette femme ---> à cette femme
Emile, tu te rhabilles ---> Emile, Emile, tu te rhabilles ( Et j'aurais presque tendance à écrire "Aimé, Aimé" car c'est ce que j'entends

Chapeau ! et merci

---
Fabriquer des souvenirs, ça sert à rien, mais ça tient chaud. (Aldebert)

Options : RépondreCiter
Re: Édith Piaf - Le bel indifférent (1940)
Envoyé par : chaparral83
Date : samedi 4 avril 2009, 11:30:50

Merci Philippe !

J'avoue que je finissais par saturer, et j'ai bien pensé qu'un collègue réécouterait avec des oreilles "neuves"

Pour le "trente", c'est ce qui figure sur le texte de 1940, duquel je suis partie. Mais comme toi, j'entends "trois".
J'avais hésité à corriger, mais maintenant que j'ai ta confirmation, je vais le faire

Merci encore

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Re: Édith Piaf - Le bel indifférent (1940)
Envoyé par : yéyé
Date : samedi 4 avril 2009, 16:00:51

Bonjour tout l'monde

Cat!!!

Ça, c'est du bon boulot

---
" Le bonheur n'est pas au bout du chemin, c'est le chemin qui est le bonheur "

Proverbe Tibétain

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Re: Édith Piaf - Le bel indifférent (1940)
Envoyé par : chaparral83
Date : samedi 4 avril 2009, 17:28:53

Bonjour yéyé

C'est surtout que l'envie me titillait depuis un moment de poster des textes en liaison avec la chanson, mais pas forcément des chansons.

Thierry avait dit, à l'occasion d'un texte que j'avais posté, "dit" par Jeanne Moreau, mais sans musique, qu'il pensait "ouvrir" un peu le site à autre chose que des "paroles-de-chansons"… mais le texte n'a pas été publié
Et c'est vrai qu'accepter autre chose que des chansons représenterait un travail monumental d'édition, difficile à assumer.

Depuis, les soucis avec les maisons d'éditions ont commencé, et je me suis trouvé d'autres distractions, d'autres chansons à poster

Là, je ne sais pas si c'est le pessimisme de mercedes qui est contagieux, mais j'ai eu envie de "faire une pause", de "perdre du temps" en transcivant autre chose que des textes de chansons, et en vous le faisant partager, tant que le forum existe encore…
Je dois dire que je ne recommencerai pas l'expérience avant un certain temps : je pensais que ça irait plus vite !
Et puis, si un jour "Paroles" évolue, qui sait si ce texte ne sera pas utile ?

En tous cas, ça m'a bien plu de le réécouter, puisqu'en fait, mes "passions" premières, c'était la littérature et la poésie. La chanson n'est venue qu'après, et d'abord pour des textes mis en musique, plutôt que pour des musiques avec des paroles dessus. Je pense qu'on s'en rend compte en lisant les textes que je poste
Et puis, les goûts évoluent, et je me suis mise à (presque) tout apprécier dans la chanson… Y a que la musique "classique" à laquelle je "n'accroche" pas

Enfin, j'espère que ma petite "digression" vous a plu

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Re: Édith Piaf - Le bel indifférent (1940)
Envoyé par : anne peintre
Date : samedi 4 avril 2009, 22:29:26

Enfin, j'espère que ma petite "digression" vous a plu

Vi !

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Modifié 1 fois. Dernière modification le 04/04/09 23:57

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Re: Édith Piaf - Le bel indifférent (1940)
Envoyé par : chaparral83
Date : samedi 4 avril 2009, 23:08:36

Bon ! J'en suis ravie !

Je profite de l'occasion pour tous vous remercier de votre participation aux corrections des textes de Piaf que je viens de poster !

Sans vous tous, sans la certitude que d'autres posteurs, prêts à passer du temps à écouter et réécouter des chansons qui "gratouillent", des enregistrements vieux de 50 ou de 60 ans, réalisés avec les moyens des radios de l'époque (pas même en studio d'enregistrement !) je ne suis pas sûre que je m'y serais risquée

Je vais sûrement oublier quelqu'un, alors qu'il (elle) ne se vexe pas, mais merci Anne, Katia, Sissi, Sylvie, yéyé, jylve, Philippe, Richard, Yves… Votre écoute a toujours été précieuse, et vos suggestions constructives.

Un "merci" tout spécial à Françoise, dont l'opiniâtreté a eu raison de mes doutes : c'est elle qui est revenue cent fois à la charge pour que je me décide enfin à transcrire ces textes !

Et un autre tout grand "merci" à mercedes, dont j'ai mis à contribution les "oreilles d'or", et qui n'a pas failli à sa réputation
À chaque fois qu'il restait des doutes (et même quand je n'avais pas de doute, et que pourtant j'aurais dû en avoir ) elle a réussi à entendre et comprendre ce qui nous arrêtait !

Vraiment, c'est pas pour nous tresser des couronnes, mais à mon avis, nous formons une sacrément bonne équipe !
Merci

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Re: Édith Piaf - Le bel indifférent (1940)
Envoyé par : Dahlia
Date : dimanche 2 décembre 2012, 12:31:13

Merci, merci pour votre beau travail. Moi qui chante Piaf sur Marseille , je suis ravie. Cinquante ans après, Edith est toujours en nous. Encore bravo !

Dahlia

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