Max Raabe, le cabaret allemand à Pleyel
La Salle Pleyel en a vu d'autres, mais elle n'avait jamais accueilli Max Raabe et le Palast Orchester. Venus de Berlin, ils ont été invités, vendredi 30 octobre, pour tester leur impact auprès du public parisien qui les découvre, ou presque : ils n'ont donné qu'un concert gratuit, en juin 2002, à la Maison de la Radio. La question du jour était donc la suivante : aimera ? Aimera pas ?
A Berlin, cette question ferait sourire. Max Raabe est une institution. Il colle à l'air de la ville qui peut tout absorber, du plus sélect au plus kitsch. En 2006, il a fêté les vingt ans du Palast Orchester en donnant un gigantesque concert en plein air, retransmis par Arte. Depuis dix ans, il tourne en Europe et plus loin. L'un de ses derniers titres de gloire est d'avoir été invité au Carnegie Hall de New York, en 2007.
A Paris, Max Raabe était annoncé par des affiches en noir et blanc, avec un titre en allemand : Heute Nacht oder nie ("Cette nuit ou jamais") et la photographie d'un homme en frac, devant un micro, à l'ancienne, les cheveux blonds gominés, plaqués sur le crâne, dégageant un visage fin, au teint clair.
Soit un cliché, celui-là même sur lequel Raabe ne cesse de jouer. Il a commencé à bonne école. Dans sa prime jeunesse, il était enfant de choeur, en Westphalie, dans la ville de Lünen, où il est né en 1962. A 20 ans, il est parti pour Berlin, où il a appris la musique, pendant sept ans. Pour gagner sa vie, en attendant de devenir chanteur d'opéra, il a fondé un orchestre avec lequel il s'est mis à interpréter les chansons de l'entre-deux-guerres qu'il fredonnait chez ses parents.
Pose parfaitement élégante
Voilà pour la petite histoire. La grande commence quand Max Raabe arrive sur la scène de Pleyel, juste après les onze musiciens (dix femmes en costume blanc et la violoniste en robe du soir). Pendant que l'orchestre attaque Cette nuit ou jamais, il se tient en retrait, à côté du piano, dans une pose parfaitement élégante. Puis il s'avance près du micro, fixe - ce qui donne une tout autre allure à un concert - et se met à chanter, de sa voix de baryton flexible jusqu'à l'extase nasillarde, dans la plus parfaite tradition du cabaret allemand. Il passe d'un fox-trot à un tango, d'une rumba à Kurt Weill, d'une rengaine à un paso-doble. Il ne faut pas longtemps pour que les spectateurs, surpris par la découverte de cet ovni, agitent leurs mains sur les cuisses, faute de pouvoir danser.
Pour sa venue à Paris, Max Raabe a adapté son programme. Aux chansons allemandes des années 1920-1930 il ajoute La Mer, de Charles Trenet, ou Dans la vie faut pas s'en faire, de Maurice Chevalier, qu'il interprète avec cette distance parfaite et désabusée qu'on ne trouve guère que dans les spectacles de Christoph Marthaler.
Mais le plus étonnant est à venir : aux rappels, il reprend Sex Bomb, de Tom Jones, avec un flegme pince-sans-rire totalement décalé. La salle en redemande. Max Raabe et le Palast Orchester n'ont plus qu'à chanter Ce n'est qu'un au-revoir. Ils ont gagné.
Brigitte Salino
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C'est aymer saynement d'entreprendre à blesser et offencer pour proffiter.
Montaigne (Essais).