Merci
Je n’ai pas eu le cœur de répondre, j’ai un très gros chagrin en ce moment, ma mère vient de mourir.
Le 09 mars, la maison de retraite a décidé d’interdire les visites pour protéger les résidents. Ma sœur qui avait pris 3 jours pour venir voir notre mère n’a pas pu faire sa visite du dernier jour. Elle a juste pu sonner à la porte et déposer le linge propre dont elle venait de s’occuper. Ma mère savait qu’elle était là mais n’avait pas le droit d’entrer.
Dès ce premier jour ma mère m’a dit : « Ça va être une hécatombe. Pas à cause du covid, mais parce qu’on va se laisser partir. On n’aura plus rien chaque soir qui nous donnera envie de voir le lendemain car on sait qu’on n’aura pas de visite. Ni le lendemain, ni un jour dans la semaine, ni dans les semaines qui vont suivre, peut être même des mois. Ce n’est pas grave si on meurt, c’est normal de mourir à notre âge, mais pourquoi nous infliger un tel chagrin, une telle tristesse ! »
Tous les jours nous lui téléphonions, une heure chacune pour qu’elle se sente accompagnée, mais il n’y avait pas le bisou, pas une main posée sur la main ou dans les cheveux. Je l’entendais se déprimer un peu chaque jour.
Elle a fait un AVC, est restée une semaine à l’hôpital, est rentrée. L’ehpad avait mis en place des rdv par skype, on s’y est mise à quatre avec ma sœur, ma fille et ma nièce, des rdv où elle nous avait toutes les quatre en même temps. Elle nous souriait quand on lui parlait, mais on voyait bien qu’elle était très faible. Trois jours plus tard le directeur de l’ehpad nous appelle pour nous dire que Maman ne va pas bien du tout et que si nous voulons la revoir vivante il fallait venir tout de suite. Que le protocole accordait une heure de visite pour une seule personne en cas de mort imminente, mais qu’il acceptait d’y déroger en nous partageant cette heure entre ses enfants.
Un aller retour Toulouse Picardie pour la voir une demi-heure. Bon, ça m’a permis aussi de voir ma sœur et de nous soutenir mutuellement. Arrivée sur place, l’infirmière me prépare avec masque, lunettes de protection, charlotte, sur-blouse, sur-chaussures, gants, dit qu’il faut se tenir à un mètre d’elle, ne pas la toucher, ne pas l’embrasser. Il y a un cas de covid dans l’établissement alors elle ne peut pas être sûre à 100% que Maman n’a pas le virus sur elle, et si je sors avec je risque de le transmettre à des gens dans la rue. Grosso modo, une probabilité sur un milliard puisque avec tous ces sur-vêtements que je mettais à la poubelle en sortant, je vois mal comment j'aurais pu en conserver si tant est que j'en aurais eu.
Et après ça, on se retrouve à deux rues d’elle à attendre qu’on nous dise que c’est fini, sans avoir le droit de la revoir, en sachant que ça peut être pour le lendemain comme pour 5 ou 6 jours plus tard.
Le surlendemain, chacune rentre chez elle car il faut bien reprendre le travail. Le soir même, ma mère est morte. Et là, une nouvelle horreur commence. L’ehpad m’appelle en me disant qu’il faut trouver des pompes funèbres de suite, car dans une heure il faut que le cercueil soit fermé. J’ai hurlé. Ils la traitaient comme un covid, mais elle n’avait pas le covid. Ils me disent qu’ils attendent le médecin légiste, et que en fonction de sa signature, tout devra ou non être fini en une heure.
Le temps de trouver l’entreprise, il me restait 20 minutes pour choisir un cercueil, le capiton, l’emblème, tout en continuant à espérer qu’on nous laisserait du temps.
Le légiste est venu. Il y avait un cas de covid dans l’établissement alors il a considéré que tout le monde pouvait potentiellement être porteur et a indiqué « suspicion de covid » ma Maman a été prise telle quel. On ne lui a même pas passé un gant humide sur le visage, pas un coup de peigne dans les cheveux, pas enfilé un vêtement. Elle est partie pieds nus, dans la tenue où elle est morte. Ils l’ont mise dans un sac hermétique, posée dans le cercueil, fermé, emmenée.
On nous a dit qu’on pourrait approcher le cercueil pendant une heure le jour de la crémation une semaine plus tard.
Alors le 15, pour mon anniversaire, j’étais en train de refaire ma valise. Le 16 traverser à nouveau la France. Le 17, être auprès de son cercueil fermé et ne pas avoir le droit d’assister à la crémation. Le 18 reprendre quelques forces. Le 19 retraverser la France et reprendre le travail le 20, jour de mon premier anniversaire de mariage. Vous comprenez que je n’ai pas eu l’envie de fêter un de ces anniversaires.
L’employé des pompes funèbres nous a dit que rien ne justifiait de faire subir cela à notre mère puisqu’elle ne représentait aucun danger.
Nous avons demandé au crématorium de conserver les cendres jusqu’à la fin du confinement afin de pouvoir au moins lui faire une vraie cérémonie à la dispersion des cendres.
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Dans la vie, c'est pas la peine de trop s'en faire... De toute façon on n'en sortira pas vivant!